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LE BLOG A FERNAND
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2 décembre 2012

TMT

 

Philippe, un de nos compagnons de route du week end m'a fait passer ce texte qu'il a écrit et qui raconte la vie / journée d'un cycliste plutôt équipier que leader et que je trouve particulièrement réussi et réaliste.

J'apprécie beaucoup l'homme, qui connait le vélo, mon vélo, celui des compétitions en FFC des années 80 à 2000. Plus tu montais de catégorie et plus tu savais que huit fois sur dix tu allais t'en prendre plein la gueule mais les deux fois restantes où tu allais chercher un bon résultat voire la victoire - les jours où tout était réuni - te donnaient un retour sur toutes les heures passées à l'entrainement ou les moments de galère dans les courses qui te convenaient le moins.

Ces années restent mes meilleurs souvenirs cyclistes au point de vue compétition avec une certaine valeur ajoutée au résultat du fait d'avoir un peloton digne de ce nom et un calendrier fourni n'empêchant pas d'avoir toujours une qualité au départ.

Voici son texte, il s'appelle TMT (pour Tous Même Temps) :

                                                                                 

J’ai hérité de ce surnom au VC Evreux. Mon ami Yvan (Frébert) qui a couru chez les pros m’a souvent raconté ses journées.

Ma modeste carrière d’amateur m’a permis néanmoins de faire de belles courses et surtout d’aider mes leaders de l’époque. Alors je les ai reprises un peu pour moi et j’ai écrit ce modeste parchemin à la gloire des cyclistes.

J’habite dans le peloton ! C’est ma maison, c’est mon job. Le matin je mange des nouilles, le soir aussi, car le lendemain il faut retourner dans le peloton. Mon rite c’est de me préparer à l’écart des autres. Je vérifie toujours que mon cuissard descend bien à la limite du bronzage, je passe ma main sur mes jambes pour juger si elles sont bien rasées, et j’enfourche le vélo avec mes tennis. Je vais chercher mon dossard que  j’accroche du côté du podium. C’est important de l’avoir du bon côté en cas d’arrivée au sprint. C’est à ce moment que l’on rencontre pleins de gens. Les familles des coureurs, les siens, les amis, les ennemis, bref tous ces gens qui pratiquent la même religion. Le speaker vous nomme et étale votre palmarès. On a plus parlé de celui de mon père que du mien. Mais qu’importe je sais que je fais partie de la famille des vrais et cela me suffit. Je regagne la voiture où nous attend le briefing. J’enfile mes chaussures de course, vérifie la pression des pneus et comme à chaque fois, j’entends la douce voix du DS dire : Eric et Philippe je veux vous voir devant de suite. Prenez de quoi bouffer et boire, vous servirez de relais pour le contre. Le reste je ne l’entends pas. Il faudra être dans le premier coup qui part. Plus facile à dire qu’à faire. Je souhaite que le peloton soit très mou au départ. Dans le peloton on bavarde en tenant sa ligne, en ouvrant les yeux et les oreilles. Il faut écouter la musique des freins, les engueulades, les gueulantes qui annoncent les obstacles. On redoute les ronds-points qui peuvent vous faire perdre votre place. On mange, on boit, on rit, puis arrive le premier talus. Tout de suite on va savoir comment va se dérouler la journée. On garde la plaque juste pour voir, et si ça passe on sait qu’on va savourer. Le cas contraire c’est inhumain.

La nouvelle arrive vite dans le peloton : ils sont sept devant. Des bons mais pas des gros. Alors le peloton laisse faire car il reviendra quand il le voudra.

Devant on roule sans arrière pensée, on fait quelques primes (souvent du très bon vin dans le Médoc) et on en garde car on prétexte toujours que notre leader est derrière.

Le peloton n’est pas sentimental. Parfois il se casse en plusieurs morceaux. C’est contre nature !

Le vent latéral en est la cause. Le peloton se divise en éventails. Pour les costauds il est pratiquement impossible de remonter de l’un à l’autre. Pour les grands, les costauds sont là pour effectuer cette tâche. C’est la que vous gagnez votre place auprès des seigneurs. Ils savent qu’ils peuvent compter sur vous. Vous, vous savez qu’ils seront devant dans le final.

Piégé derrière c’est l’enfer. Si on est dans le premier paquet on entend toujours : ça à pété. Il n’y a pas de fainéant pour rouler. Ce moment capital vous donne déjà approximativement votre classement.

Devant on roule à bloc maintenant en sachant que derrière tout a explosé. La voiture du DS vient vous renseigner et vous demander d’attendre le retour des gros.

Ils arrivent très vite, il reste vingt bornes et quatre fois l’ascension d’Henry Mauduit. Une bosse d’un kilomètre à 9 pour cents. Il faut monter une fois devant eux.

Le mal aux jambes est terrible, le souffle est court. J’ai un point dans les dos, ça fait mal, je n’ai plus le choix, il faut rester là, ne pas se faire éjecter. Quand ça brûle trop, je pense à Papa le pro, je l’imagine m’observant,  je pense à Yvan derrière qui va rentrer et que je vais pouvoir encore aider un peu.

La bosse est passée, les gens hurlaient, allez Evreux ça rentre, ils sont quinze derrière. Dans ma tête quinze et sept vingt deux. Il n’y a que les vingt premiers qui sont classés réellement. Il faut en tuer deux !

A l’amorce de la deuxième ascension, Yvan est rentré avec Pesenti. Nous étions quatre d’Evreux. Eric était cramé tout comme moi. Yvan m’a demandé d’attaquer en haut. J’ai obéi  et refait presque un tour tout seul devant. Je suis fier. Je suis professionnel un très court instant. Entouré des motos, du grésillement de la radio qui m’annonce avec trente seconde d’avance, je vole et ne ressens plus rien.

Je prends des risques dans les virages, je reste dans le sillage des motos. On arrive dans les faubourgs d’Evreux. Les gens hurlent. Pas le temps de se regarder dans les vitrines. Derrière ils sont déchainés.

Je passe la flamme rouge du dernier kilomètre. C’est ma vraie ligne d’arrivée à moi. Huit gars me passent sans un regard. J’essaye de prendre la dernière roue, j’explose et je regarde de derrière les seigneurs s’offrir Paris Evreux.

Je passe la ligne en dix-huitième position devant le seul peloton du monde : celui des cyclistes. Ce peloton est l’honneur de la bicyclette, l’honneur du coureur cycliste. Il est la gloire des échappés et des vainqueurs.

Le peloton est mon métier et demain, dans le journal je serai T.M.T

 

 

                                                                                                                                                  Philippe

 

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